Le 8 février 2023, la première chambre civile de la Cour de Cassation a rendu un arrêt important en réparation du dommage corporel, favorable aux victimes, qui consacre trois points. La Cour censure notamment, pour violation de la loi et du principe de réparation intégrale, un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence le 23 septembre 2021.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : à l’issue du remplacement d’une prothèse de genou en 2011, une patiente avait présenté une infection qui conduisit à l’ablation de la prothèse, puis à l’amputation de sa jambe au niveau de la cuisse. Une expertise médicale a été ordonnée et l’indemnisation des préjudices a été mise à la charge de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) qui représente la solidarité nationale s’agissant d’un accident médical non fautif.

Diverses sommes ont été allouées à la victime, toutefois la Cour d’Appel a refusé d’allouer une somme au titre de la tierce personne temporaire pendant les périodes d’hospitalisation. Elle a également refusé d’allouer une somme au titre du logement adapté, poste pourtant reconnu par l’expert, faute pour la victime de choisir la solution la moins onéreuse et d’apporter les éléments justifiant le préjudice. Enfin elle a refusé de tenir compte, pour le véhicule adapté, du surcoût lié au chargement d’un fauteuil électrique, faute pour la victime, là encore, de justifier du montant de son préjudice.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt. Elle consacre le principe important et récent selon lequel la victime hospitalisée peut tout à fait avoir un besoin d’assistance par tierce personne. Elle censure également la Cour d’Appel pour déni de justice en ce qu’elle a refusé d’évaluer les postes de préjudice du logement adapté et véhicule aménagé reconnus par l’expert et alors même qu’elle en avait constaté l’existence.

Sur la possibilité d’être indemnisée au titre de la tierce personne temporaire pendant la période d’hospitalisation.

La Cour d’Appel a refusé à la victime toute indemnisation de l’assistance par une tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation au motif qu’elle « tend en soi à suspendre les contraintes de la vie quotidienne du patient et à lui garantir un niveau élevé de sécurité : la rétribution supplémentaire d’une tierce personne pendant la période du déficit fonctionnaire temporaire total est donc sans objet. »

Comme il fallait s’y attendre, la Cour de cassation a jugé au visa de l’article L1142-1, II du Code de la santé publique que le rejet, par principe, de toute indemnisation de l’assistance par tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation violait le principe de réparation intégrale du préjudice : « L’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne. »

Le 10 novembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation avait déjà consacré le principe et étendu le droit à réparation de la victime hospitalisée à l’aide apportée par ses proches pour pallier sa perte d’autonomie dans les actes de la vie courante. La Cour de Cassation, par le présent arrêt, confirme sa jurisprudence. Ainsi les actes de la vie courante de la victime hospitalisée, pris en charge par des tiers aidants doivent être indemnisés au titre de l’assistance par une tierce personne. Cette décision fait preuve également de bon sens puisque même hospitalisées, les victimes doivent réaliser certains actes de la vie quotidienne ou actes administratifs qui ne sont pas assurés par l’hôpital.

Cette décision est importante pour les victimes, et ce d’autant plus que la Cour de Cassation a rendu cet arrêt dans le cadre d’une indemnisation par l’ONIAM, la solidarité nationale. Elle étend donc le principe et consacre une égalité de traitement entre les victimes indemnisées par des assurances et les victimes indemnisées par la solidarité nationale. Les deux chambres ont ainsi uniformisé leur jurisprudence, ce qui était souhaitable.

Sur le déni de justice opéré par la Cour d’Appel de refuser d’évaluer le poste du logement adapté.

Le juge d’appel avait rejeté la demande d’indemnisation de l’acquisition d’un bien immobilier aux motifs que la victime en fauteuil roulant et en location ne « justifie pas avoir saisi son bailleur social aux fins d’attribution d’un nouveau logement, que la surface de l’ancien logement n’est pas communiquée et que le devis concernant la maison n’en précise pas la commune de localisation. »

De ce fait, bien que l’expert reconnaisse la nécessité d’un logement adapté, la Cour a estimé, faute de justificatifs, de ne pas être en mesure de chiffrer ce poste. Comme il fallait s’y attendre et au visa de l’article 4 du Code civil relatif au déni de justice et du principe de réparation intégrale des préjudices, la 1ère Chambre civile censure l’arrêt et rappelle que « le juge ne peut refuser d’évaluer un préjudice dont il constate l’existence. » Dès lors que la Cour d’Appel a constaté que le logement de la victime était inadapté, elle n’avait pas à solliciter que la victime choisisse la solution la moins onéreuse pour se reloger, à savoir la demande d’un nouveau logement en location, impossible en pratique à obtenir, et fasse peser sur elle la production excessive de pièces injustifiées.

Cette décision est dans le prolongement de nombreuses décisions en la matière concernant les victimes en location au moment de leur accident. Il est de jurisprudence constante que les frais d’acquisition d’un logement adapté doivent être mis à la charge de l’assureur dès lors que la victime n’a pu regagner son ancien logement qui s’avère inadapté à son handicap et ne peut être aménagé (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 3 mars 2016 et 18 mai 2017). Les victimes ne sont absolument pas tenues de choisir la solution la moins onéreuse pour l’assurance afin de se reloger. L’arrêt qui consacre donc la Jurisprudence habituelle en la matière est rassurant pour les victimes.

Sur le déni de justice opéré par la Cour d’Appel de refuser d’évaluer intégralement le poste du véhicule adapté

Une fois de plus au visa de l’article L1142-1, II, cumulé au principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la 1ère Chambre a également cassé l’arrêt ayant limité les frais de véhicule adapté. La cour d’appel avait en effet refusé de prendre en compte, outre la nécessité d’avoir une boite automatique, celle d’avoir un véhicule adapté aux fauteuils électriques, pourtant indispensable à la victime selon l’expert.

La Cour de cassation rend ici encore une fois une décision favorable aux victimes d’accidents médicaux qui n’ont pas à produire une multitude de pièces justificatives de leurs préjudices, dès lors que le poste a été constaté par expertise et qu’il existe. Du bon sens s’imposait.

Cabinet Meimon Nisenbaum, juin 2023.

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